« Après la crise sanitaire, on craint une crise sociale » : depuis le confinement, de nombreuses familles avec enfants peinent à se nourrir

Les banques d’aide alimentaire ont vu leurs nombres de bénéficiaires bondir depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Parmi eux notamment : des mères et enfants isolés dans des hôtels et des familles modestes confrontées la fermeture des cantines scolaires.

« Après la crise sanitaire, on craint une crise sociale »

Derrière l’urgence médicale, la détresse alimentaire. Les Restos du cœur annoncent que, pendant le confinement, le nombre de personnes servies a grimpé de 40% par rapport à la même période en 2019. En France, « cinq millions de personnes ont déjà recours à l’aide alimentaire hors contexte de crise », précise le président de l’association, Patrice Blanc, à franceinfo. Des chiffres qui montrent que l’épidémie de coronavirus accentue les difficultés des plus démunis, mais met aussi en danger de nouvelles populations.

Depuis la mi-mars, le Secours populaire détaille être venu en aide à 1,27 million de personnes, dont 45% de nouveaux bénéficiaires que l’association n’avait jusqu’ici « jamais rencontrés », constate la secrétaire générale Henriette Steinberg, au micro de franceinfoOutre la situation critique des étudiants et des travailleurs précaires, les associations mettent en garde sur la situation particulièrement alarmante des familles avec enfants les plus modestes.

Liens commerciaux
Publicité

Des distributions de repas dans des hôtels

Aux Restos du cœur, 40% de ceux qui ont bénéficié de l’aide alimentaire durant le confinement sont des enfants, détaille Patrice Blanc. « C’est une proportion qui reste stable. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’on retrouve plus ces familles avec enfants durant les distributions de repas dans la rue, que dans nos centres où on fournit des denrées à préparer. » Même constat au Secours populaire, où les enfants continuent de représenter 60% des personnes aidées.

Pour les plus précaires qui n’ont pas accès à une cuisine, les distributions de plats froids dans la rue sont l’unique moyen de se nourrir. C’est le cas des familles vivant dans des squats, et dont les ressources dépendent d’une économie souterraine mise à l’arrêt durant le confinement, explique Sébastien Thollot, secrétaire national du Secours populaire, auprès de franceinfo.

Ces distributions s’adressent aussi aux femmes et à leurs enfants réfugiés dans des hôtels pour fuir les violences intrafamiliales. La banque alimentaire de l’Isère confectionne ainsi 5 000 repas chaque semaine, dont 3 000 sont livrés dans des hôtels à des femmes et enfants ayant quitté leurs domiciles pendant le confinement, mais aussi à des familles sans-abris. Dans cette antenne départementale, le nombre de bénéficiaires a pratiquement doublé depuis la mi-mars, souligne son président, Christian Chédru, auprès de franceinfo.

Le poids de la fermeture des cantines scolaires

Si les associations d’aide alimentaire enregistrent une hausse des demandes dans tous les départements, la faim menace particulièrement certains territoires. « Le confinement accentue les disparités déjà présentes dans certaines zones », analyse Sébastien Thollot.

Liens commerciaux
Publicité

En Seine-Saint-Denis, « des familles se retrouvent à ne plus pouvoir nourrir leurs enfants », a ainsi alerté la députée France insoumise Clémentine Autain, auprès de France Bleu Paris. C’est le cas aussi à Mayotte, dont la moitié de la population a moins de 18 ans, et où la crise sanitaire se double d’une crise alimentaire. « Le confinement a entraîné des problèmes de dénutrition, chez les enfants notamment », décrit Christophe Caralp, responsable du pôle urgences et réanimation du Centre hospitalier de Mayotte, à franceinfo. « Les enfants ne mangent pas à leur faim, alors qu’avant, il y avait l’école, où ils pouvaient manger », ajoute Daniel Gros, retraité de l’Education nationale à Mamoudzou, auprès de franceinfo.

Partout en France, la fermeture des cantines durant le confinement a engendré de nouvelles difficultés pour nourrir les enfants issus de ménages modestes, parfois privés d’une partie de leurs ressources à cause de la crise. Pour ces foyers, la tarification sociale de la restauration scolaire garantissait l’accès à un repas complet par jour à moindre coût. « Avec le confinement, des familles monoparentales se sont retrouvées à temps partiel et ont dû en plus compenser la fermeture de la cantine », illustre Sébastien Thollot.

39 millions d’euros pour l’aide alimentaire

Christelle Dubos, secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre la pauvreté, reconnaît auprès de franceinfo l’impact négatif de l’arrêt de la restauration scolaire pour les familles en situation de grande précarité.

Face à cette crise, le gouvernement a débloqué 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire, dont 25 millions seront directement versés aux associations. Les 14 millions restants ont été distribués à plus de 100 000 familles sous forme de chèques d’urgence alimentaire, crédités d’un montant moyen de 105 euros par foyer. En Seine-Saint-Denis, « 25 000 familles ont bénéficié de ces chèques, ce qui représente un montant global de 2,6 millions d’euros », rapporte Christelle Dubos. Quatre millions ont été réservés à la distribution de chèques pour la Guyane, Mayotte et Saint-Martin, trois territoires « dans une situation très préoccupante », estime la secrétaire d’Etat.

Outre ce coup de pouce, le gouvernement a également mis en place une aide exceptionnelle pour les familles les plus pauvres, versée progressivement depuis vendredi. Quatre millions de foyers modestes recevront 100 euros par enfant, auxquels s’ajouteront 150 euros pour les ménages bénéficiaires du revenu de solidarité active ou de l’allocation de solidarité spécifique.

La crainte d’une crise durable

Un coup de pouce, certes, mais pas une solution de long terme, estiment les associations. « Pour aujourd’hui, c’est une bouffée d’oxygène. Mais demain, ça ne sera pas suffisant », prévient le président des Restos du cœur. « On espère qu’il y aura d’autres annonces, car après la crise sanitaire, on craint une crise sociale », souffle quant à lui Sébastien Thollot.

Malgré la levée du confinement, l’activité des banques alimentaires ne faiblit pas. Impossible pour l’instant d’estimer à l’échelle nationale le nombre d’enfants ayant eu recours à l’aide alimentaire depuis la mi-mars. « A ce stade, on ne peut pas encore le dire », concède en effet la secrétaire d’Etat. Mais sur le terrain, les associations se montrent pessimistes. Elles craignent que les plus démunis, et notamment les enfants, ne soient durablement touchés.

Du côté du gouvernement, la secrétaire d’Etat s’engage à accompagner durablement les associations et à maintenir le niveau du budget dédié à l’aide alimentaire, fixé à 115 millions d’euros par an, dont 55 millions sont issus du Fonds européen d’aide aux plus démunis. « Nous garantissons que les montants alloués à l’aide alimentaire resteront les mêmes, que ce soit par l’Etat ou l’Union européenne, assure Christelle Dubos. L’aide alimentaire n’est pas une option en France. » Mais au-delà de l’accès à la nourriture, le Secours populaire et sa secrétaire générale, Henriette Steinberg, redoutent une crise sociale plus globale qui risquerait d’engendrer « une génération d’enfants traumatisés par ce qu’ils viennent de vivre ».

Source: Franceinfo

Liens commerciaux